L’épargne sanguine – une tâche importante du médecin de famille
En bref : 76 ans, adénome prostatique, anémie
Un patient de 76 ans est hospitalisé pour infarctus non-STEMI, une PCTA avec, le cas échéant, implantation d’un stent.
- Anamnèse personnelle : infarctus avec anévrisme de la paroi antérieure, sous AAS et phenprocoumone en raison d’une récente thrombose. L’AAS est arrêtée après l’apparition d’une hématurie macroscopique, la phenprocoumone est arrêtée après dissolution du thrombus, avec reprise de l’AAS. Un adénome prostatique (210 ml) expliquant l’hémorragie urogénitale est découvert, celui-ci doit être réséqué avant toute autre intervention cardiologique.
- Laboratoire : Hb 117 g/l, CRP et GTP normales, ferritine 13 mg/l, pas d’insuffisance rénale.
- Diagnostic : anémie par carence martiale devant être corrigée avant l’opération.
Avant toute intervention chirurgicale, une éventuelle anémie doit être corrigée ce qui, de nos jours, est facile à réaliser grâce aux préparations modernes et concentrées de fer i.v. sans dextrane. L’anémie préopératoire étant fréquente, le médecin traitant devrait réaliser un hémogramme avant une chirurgie élective et, le cas échéant, déterminer l’origine de cette anémie et la traiter.
Dr Schleiffenbaum, le cas présenté correspond-il à une constellation particulièrement défavorable ou voyez-vous, au contraire, souvent de telles anémies ?
Des cas aussi dramatiques sont rares. Mais nous voyons souvent des patients âgés chez qui une chirurgie est programmée et qui présentent des problèmes médicaux graves, par exemple une coronaropathie qui, parfois, n’était même pas connue.
Lorsqu’on opère malgré tout un patient anémique, quels sont les risques auxquels il faut s’attendre ?
Chez un patient présentant déjà une coronaropathie, une maladie cérébrovasculaire ou une affection pulmonaire, la présence d’une anémie est un facteur aggravant supplémentaire. Les patients âgés anémiques présentent souvent une mortalité périopératoire élevée. En outre, ces patients nécessitent davantage de transfusions, ce qui augmente encore plus la morbidité et la mortalité. Lorsque l’Hb est basse dès l’admission et que l’intervention, en provoquant des pertes sanguines, va aggraver l’anémie, le recours aux transfusions est inéluctable. Toutefois, en plus des risques infectieux et immunologiques bien connus, les transfusions augmentent aussi la mortalité et la morbidité, comme l’ont montré de récentes études.3
Existe-t-il des données sur la morbidité, la mortalité et la durée d’hospitalisation après intervention chirurgicale chez les patients anémiques ?
Il faut compter trois à cinq jours d’hospitalisation supplémentaires, selon l’intervention, ce qui représente un surcoût considérable. La morbidité et la mortalité peuvent augmenter de 10 à 30 %.
Quelles mesures avez-vous mises en œuvre chez le patient présenté ici ? Comment la carence martiale a-t-elle été corrigée ?
Dans le cas présenté ici, nous étions pris par le temps car il n’était pas possible de retarder l’intervention urologique puis cardiologique. Il s’agissait de corriger rapidement l’anémie par du fer i.v. La dose calculée (pour permettre la correction de l’anémie, pour reconstituer les réserves de fer et pour compenser, de façon anticipée, les pertes sanguines péri-opératoires) s’élevait à 2000 mg de carboxymaltose ferrique. En raison de la situation cardiaque, l’augmentation de l’Hb a été accélérée par de l’époétine bêta (EPO) pour parvenir à une Hb préopératoire de 154 g/l. Lorsqu’on dispose de suffisamment de temps pour corriger l’anémie, par ex. avant une chirurgie orthopédique élective, on peut en principe se passer d’EPO.
Quelle a été l’évolution de ce cas avec cette multimorbidité complexe ?
Le patient a pu quitter l’hôpital avec une Hb de 115 g/l sans avoir présenté de symptômes cardiaques et sans avoir dû recevoir la moindre transfusion.
A propos de « l’épargne sanguine » : quel appel lancez-vous aux médecins de famille ?
Chez tout patient chez qui une chirurgie élective est prévue, par ex. une prothèse de hanche, du genou ou de l’épaule, une anémie devrait être recherchée avant l’intervention. Une tâche que le médecin de famille peut mener à bien dans plus de 90 % des cas – ce bilan devant être entrepris six semaines avant l’intervention programmée, afin de laisser assez de temps pour, le cas échéant, mener à bien le traitement d‘une anémie.
Merci pour cet entretien enrichissant
- Musallam KM et al., Lancet 2011; 378: 1396-1407.
- Spahn DR et al., Br J Anaesth 2012; 108: 889-892.
- Hébert PC et al., New Engl J Med 1999; 340: 409-417.
Etudes sur la question
- Une anémie même légère augmente la mortalité périopératoire globale de 41 %, et la fréquence des complications dues à l’anémie de 31 %1.
- L’épargne sanguine du patient est essentielle et repose sur trois piliers :
- correction de l’anémie préopératoire
- réduction des pertes sanguines périopéra-toires
- optimisation de la prise en charge de l’anémie postopératoire2
Notre expert :
Le Dr
Boris Schleiffenbaum, PD
Hématologue
Klinik im Park, Zurich
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